Jean-Paul Gessa nous a proposé le conte suivant...


 

Chroniques du règne de Winstuba
Rapportées par le Grand Scribe Amonas

 " Au premier matin de l'Univers, la Déesse était seule, c'est d'Elle que naquit le désirable et tout ce qui vit de l'énergie. C'est Elle qui anima les êtres, qu'ils aient pour origine l'eau, l’œuf ou la matrice ; qu’ils soient des végétaux ou des animaux. D'Elle naquirent aussi les hommes, c'est Elle qui est et donne l'énergie suprême
... " (Bahvricha Upanishad).

Voici venu le jour de la Grande Assemblée, Winstuba, la Mère Primordiale de toutes les créatures qui vivent dans l’eau, sur terre et dans le ciel, convoque tous les porteurs de vie de la Terre immense.

Winstuba, la mère des vivants appelée Gaïa par les grecs et Freya par les peuples farouches du Nord.

C’est le jour de la Grande Assemblée et tous les représentants des créatures vivantes ont répondu à l’appel et se sont rendus sur l’Aire Sacrée du Royaume Caché, entre la mer et la montagne, entre la forêt et la savane, entre les pâturages et le désert brûlant.

Voici venir Winstuba, sur son char tiré par des lions et dans le rythme lancinant des tambourins et des cymbales. Winstuba, invoquée sous mille noms sacrés et dans mille contrées de l’Univers : Astarté en Phénicie, Mu-Tsoopo en Chine, Oshun en Afrique Noire, Cybèle en Asie Mineure, Xchiquetzal chez les Aztèques, Morrigan en Irlande…

Écoutez les paroles de Winstuba :

" Que les représentants mandatés des familles vivantes avancent et parlent. Moi, Winstuba, j’écouterai leurs doléances et je réparerai les injustices ".

Dans cet heureux âge du monde, les doléances étaient rares et l’iniquité était un mot inconnu, car l’harmonie régnait sur la Terre saturée de vie et de beauté. Les créatures remerciaient la Grande Mère de ses bénédictions et s’en retournaient heureuses et affamées de vivre.

Chaque nuit, forte de cette harmonie de l’Univers, Winstuba par son chant mélodieux entretenait le sommeil de sa sœur Kalina, la Noire Kalina, Destructrice des Mondes. Et c’est ainsi qu’elle perpétuait la continuité des êtres.


Les cycles se suivirent dans la plénitude et la joie.

De nouvelles créatures naissaient à la vie, d’autres disparaissaient sereinement et sans regrets, rassasiées comme au sortir d’un banquet.

Cependant, Winstuba se rappelait quelquefois, avec horreur, de la fin tragique des Gigantesques, que l’Homme appellera un jour Dinosaures, de cette nuit d’angoisse où ses chants ne purent complètement apaiser le sommeil agité de Kalina. Elle comprit que la longue et absolue domination de ces êtres titanesques avait mis en péril l’harmonie du Monde, affaiblissant ainsi les sortilèges de son chant mélodieux. Et Kalina, dans un demi sommeil, suscita un cataclysme sans précédent qui provoqua la fin du règne fabuleux des Colosses.

Mais depuis, cycles après cycles, des créatures entraient sereinement dans le Repos final : le Grand Mammouth Velu, le Chameau Géant à Trois Bosses, le Centaure, le Yeti, le Griffon, la Sirène, le Dragon, le Phénix et des myriades d’autres êtres dont les noms ont sombré dans l’oubli.

Avant de quitter le monde, ceux qui aspiraient au repos, se présentaient devant Winstuba et déclaraient tout simplement : " Je suis las de ma vie, qui a été longue, belle et honorable. Fais-moi entrer dans ton Grand Sommeil, ô Mère de Miséricorde ! ".

D’autres créatures, plus anciennes, ne se lassaient pas aussi facilement de l’existence, et semblaient vouloir vivre éternellement. Parmi les plus connues, on trouvait le Cœlacanthe, le Requin, le Limule, la Blatte et le Grand Giskar Chuinteur à Crâne d’œuf.

Durant de longs cycles de vie, l’Homme, heureux et sauvage, honorait la Grande Mère dont il recevait les bénédictions, en respectant l’harmonie naturelle de l’univers. Il appelait les autres vivants " frères " et demandait pardon aux créatures qu’il avait dû sacrifier pour se nourrir.

Mais les choses se mirent à changer et l’Homme, fier de ses réussites, grandit en présomption et en arrogance. Il s’écartait lentement mais fatalement de la voie naturelle et de l’harmonie.

Durant une Grande Assemblée mémorable, un énergumène hirsute fit irruption au centre de l’Aire Sacrée en criant : " Où est Croupion, le Dieu Crapaud père de tous les hommes, que je lui rende hommage ? ". 

L’âne se mit à braire de joie et fut suivi par les rires et les railleries de tous les êtres vivants : " Coaah, coaah, le fils du Crapaud, l’Homme est le fils du Crapaud ! Coaah, jetons le dans la mare ! "

Seul le Crapaud se renfrogna et prit le parti de l’Homme : " Celui qui Marche sur Deux Pattes ne manque ni d’intelligence ni de grandeur " coassa-t-il sentencieusement.

Quant à l’Homme, mortifié dans son amour propre, il se tint à l’écart et garda le silence en baissant la tête jusqu’à la dispersion finale de l’Assemblée. Il n’a donc pu voir le sourire de Winstuba qui lui était adressé. Ce sourire, s’il avait été perçu, aurait peut-être pu changer le destin du monde. Car ce sourire était beau et radieux, il exprimait un peu d’amusement et d’ironie, mais surtout de la compassion, et la tendresse d’une mère fière de l’imagination créatrice de son dernier-né.

Un cycle de vie s’écoula, plus court que les précédents, et à la Grande Assemblée un événement inouï se produisit : deux émissaires de l’Homme osèrent se présenter ensemble devant l’auguste Winstuba !

" Je suis le seul vrai croyant, ô Grande Batracienne, s’écria le premier, je suis le seul être humain car celui-ci a été engendré par le Chacal et la Truie.

- c’est une infamie ! protestèrent le Chacal et la Truie.

- ô Grosse Vache Sacrée, Source de Vie et de Fromages Odorants, s’écria l’autre moitié de l’Homme, n’écoute pas cet avorton purulent qui vit dans la fange fétide et se nourrit de limaces visqueuses et de vers frétillants en adorant l’infâme Crapaud à Pustules !

- infâme toi-même ! coassa le Crapaud ".

D’un geste impérial, Winstuba imposa le silence, durant lequel même la Mouche cessa de voler. Elle prit finalement la parole :

" Rentre en toi-même, Homme, et dissipe ce mirage qui te voue à la souffrance et à la mort, l’unité de l’Homme ne doit pas être mise en cause ".

Cette nuit-là, le chant de Winstuba eut beaucoup de mal à préserver le sommeil de sa sœur Kalina. Des tremblements de terre, des éruptions volcaniques et des raz-de-marée dévastèrent le monde.

 

En plein cycle de vie, ce qui ne s’était jamais vu, la grande majorité des êtres vivants supplia et persuada Winstuba de convoquer une Grande Assemblée pour requérir contre les forfaits des hommes.

Ceux-ci avaient eu la prudence en cette occasion de ne mandater qu’un unique émissaire, un être sombre, empli de morgue et d’assurance.

L’Oiseau Bobo de la Réunion prit la parole : " je n’étais pas las de la vie, mais l’Homme nous a exterminés pour s'accaparer nos plumes chatoyantes. Fais-moi entrer dans ton Grand Sommeil, ô Mère de Miséricorde !".

Le Crabe d’Eau Douce à Pinces Molles et à Chair Délicieuse : " je n’étais pas las de la vie, mais l’Homme nous a tous dégustés avec de la mayonnaise à l’ancienne et du vin de Sancerre. Fais-moi entrer dans ton Grand Sommeil, ô Mère de Miséricorde ! ".

Des milliers de porteurs de vie, innocentes victimes de la cruauté et de la voracité déplorables de l’homme, entrèrent dans le Grand Sommeil de Winstuba. Parmi eux, l‘Aurochs, le Bouquetin des Pyrénées, l’Emeu Noir, le Grand Pingouin, le Hérisson Géant, le Kangourou-rat à Museau Large, le Loup de Tasmanie, le Rat-pilori de la Martinique, la Tortue des Seychelles, le Canard du Labrador, l’Hippopotame Nain de Madagascar et tant d’autres créatures uniques et splendides.

D’autres êtres, malgré leur puissance, se sentaient eux-mêmes menacés par le pouvoir démesuré et inexplicable de Celui qui Marche sur Deux Pattes.

Le Tigre : " Ô Winstuba, j’étais destiné de par ta volonté à imposer la terreur et le respect chez toutes les créatures marchant sur la terre. L’Homme m’a dépossédé de mon privilège et me chasse comme une biche pour me dépouiller de ma peau afin d’en revêtir ses femelles ou pour l’exposer sur les murs de sa case. L’Homme m’a déshonoré, et même les petits singes de la jungle osent rirent sur mon passage, en urinant de joie et en me lançant des grenouilles mortes. La justice et l’harmonie sont détruites, que Kalina, la destructrice de Mondes se réveille ! "

Le Requin : " Ma férocité régnait sur les mers et les océans, tel était mon apanage. L’Homme me pêche désormais comme une vulgaire sardine pour faire de la soupe avec mes ailerons. Que Kalina, la Destructrice des Mondes, se réveille ! "

La Baleine : " Je suis la plus imposante et la plus douce des créatures de l’Univers. L’Homme me harponne et me sort de l’eau pour me débiter, me hacher et me préparer en matelote avec des croûtons et de l’ail. L’harmonie promise est rompue. Que Kalina la Noire se réveille ! "

L’Eléphant, l’Oiseau Paradisier, le Canard à Tête Rose, le Condor de Californie, le Gorille de Montagne, la Moule d'Eau Douce, la Perruche de Maurice, le Phoque Moine, le Pigeon Rose, le Tamarin-Lion unirent leurs voix à mille autres créatures, grandes ou petites, et requirent contre l’Homme :

" Ö Winstuba, Mère de toute vie, nous réclamons justice contre les forfaits de Celui Qui Marche Sur Deux Pattes. Anéantis l’Homme avant qu’il ne nous extermine tous ! "

C’est le Petit Poussin Noir à Casque Blanc Ebréché qui ce jour-là exprima le mieux et le plus simplement les griefs de la multitude en s’écriant :

" Injuste, Grande Mère, le monde est injuste! "

Cependant, le Rat, le Pigeon, la Mouche, le Cafard, le Morpion, le Streptocoque Bêta Hémolytique de Type A, toutes les variétés d’acariens, le Ver Blanc à Viande Faisandée, le Plant de Tabac, le Virus de l’Herpès et du SIDA, les avocats new-yorkais et le Bifidus Actif prirent la défense de l’Homme :

" L’Homme est bon pour nous, ne nous prive pas de notre bienfaiteur qui nous fait proliférer dans le bien-être et l’abondance, ô Winstuba ! Préserve ta justice et n’accorde pas foi à ces meutes de créatures veules, envieuses et malveillantes qui te disent le contraire, car l’Homme est un être généreux fait à ton image ".

Winstuba, la Mère des Vivants, vénérée sous le nom d’Isis en Egypte et d’Ishtar à Babylonne, demanda des comptes à l’Homme qui lui répondit avec arrogance :

" Notre Divinité nous a enjoint de nous accroître indéfiniment et de soumettre la terre et les créatures qui vivent dans l’eau, sur terre et dans le ciel. A notre profit exclusif, car, ajouta-t-il en s’adressant à la communauté des porteurs de vie, le Dieu des Hommes n’a jamais montré de grande considération pour vous autres, machines vivantes dépourvues d’intelligence et d’âme. Nous vous utilisons, quand vous avez quelque utilité, pour les travaux pénibles des champs et comme réserve fraîche de nourriture. Quant aux créatures qui ne veulent se soumettre à notre loi, nous les appelons nuisibles et les exterminons. Et cela est juste, car nous sommes les seuls êtres pensants de l’Univers ".

" Tu te dis intelligent, se contenta de répliquer Winstuba, mais moi je prétends que même la modeste Linotte qui apprête son nid pour donner la vie fait preuve de plus d’intelligence que l’Homme quand celui-ci conçoit des abominations pour détruire ses semblables. "

" Homme, retrouve la voie de la fraternité, car toute vie est solidaire de toutes vies. Quitte ce chemin qui mène à l’anéantissement ".

Et vint le jour de l’ultime Grande Assemblée, l’invasion infernale de l’Aire Sacrée par des myriades d’hommes minuscules, des démons déments, hurlant et gesticulant.

Ce ne furent que des cris, des imprécations, des vociférations de haine…

" Anéantis les Ennemis ! Lapide les Perfides ! Détruis les Incirconcis ! Immole les Mongols ! Emascule les Incrédules ! Estourbis les Impies ! Etouffe les Pignoufs ! Démantibule les Funambules ! Vomis les Circoncis ! Massacre les Diacres ! Extermine la Vermine ! Tue les Obtus ! Casse la tête aux Helvètes ! Dynamite les Annamites ! Tords le cou aux Zoulous ! Pends les Allemands ! Annihile les imbéciles ! Abats les Fellaghas ! Décapite les Sémites ! Dézingue les Cradingues ! Hache les Ganaches ! Défais les Anglais ! Bousille les Abrutis ! Emonde les Burgondes ! Assassine les Tsarines ! Fais la peau aux Fachos ! Foudroie les Gaulois ! Matraque les Kanaks ! Décime les Cacochymes ! Poignarde les Sardes ! Zigouille les Andouilles ! Ratiboise les Hongroises ! Estourbis les Roumis ! Massacre et génocide avec des insecticides ! Par Belzébuth, électrocute, culbute, bute et charcute ! ".

" Est-ce bien ce que vous désirez ? demanda Winstuba d’une voix si forte qu’elle fit trembler les colonnes de l’Univers, faut-il que j’exauce toutes vos prières ? ".

" Comment pourrions-nous continuer à vivre sans ces délicieux frissons de haine qui promettent un orgasme sanglant et inoubliable ? Oui, exauce-nous ! Extermine les ennemis, ô toi, quel que soit les noms que nous t’ayons donnés dans des moments de faiblesse ".

Même le Bacille de la Peste Noire fut outré par tant d’insolence obscène, et proposa aimablement à la Grande Mère de laver personnellement et définitivement l’affront.

Mais Winstuba était aussi la Mère du Désir et comprenait que ces vociférations vulgaires révélaient en fait une insatisfaction, une faiblesse, une maladie inhérente à l’Homme qui semblait avoir sombré dans le culte délétère de sa propre image et s’était englué dans des pulsions de mort.

Winstuba ne répondit donc pas à ces prières impies et puériles. Cela aurait impliqué le réveil de Kalina la Noire, et aurait eu pour conséquence, au-delà de la disparition de l’Homme, l’anéantissement total de la Vie.

La Belle Dame reprit son calme et dit :

" Allez-vous en avant que je ne me ravise et ne vous reprenne mon don de vie. Vous ne serez réadmis dans l’Aire Sacrée que lorsque votre raison l’aura emporté sur la folie et la haine et que l’unité de la famille humaine ne soit restaurée ".

Mais Winstuba savait qu’elle venait de perdre toute autorité sur l’Homme.

Pendant quelques temps, le sommeil de Kalina la Noire fut si agité que des calamités sans nombre s’abattirent sur la Terre.

Winstuba prit la décision de consulter sa sœur Una, Mère de la Sagesse. Accompagnée d’Amonas, son secrétaire personnel, qui était chargé depuis de longs cycles de consigner les chroniques de son règne, elle monta sur son char d’or attelé à de blanches licornes ailées et prit son envol.

Quand la Mère des Vivants devait se rendre chez sa sœur, elle ressentait une certaine réticence à l’idée de se retrouver dans un lieu glacé où rien ne vivait ni ne poussait. Mais l’image de Una la Sage, sereine, joyeuse et pleine de tendresse dissipa bien vite toute appréhension.

Depuis des temps incommensurables, Una s’était retirée sur le Toit du Monde, le Mont Chomolungma qui signifie dans la langue Sherpa la " Très haute Déesse " ou la " Déesse des vents ", Chomolungma que des Hommes sacrilèges oseront plus tard nommer Everest du nom d’un de leurs insignifiants congénères.

Dans son palais de cristal, perdu dans les neiges éternelles, Una reçut sa sœur avec joie :

" Sois la bienvenue, Winstuba ma sœur bien-aimée, toi la Grande Amoureuse, l’origine du désir et des êtres différenciés. Que me vaut une visite si rare et tant espérée ? ".

Sans préambule, et avant même d’embrasser la sœur qu’elle chérissait tendrement, Winstuba répondit en seul souffle :

" L’Homme ne croit plus en nous et a inventé de nouvelles croyances, l’Harmonie est sur le point de se rompre définitivement et Kalina s’agite dans un pré-réveil !

Una servit à son auguste visiteuse son nectar le plus capiteux, son ambroisie la plus fine et toutes deux gardèrent le silence un moment. Enfin, Una se mit à méditer tout haut, comme si elle avait oublié la présence de sa sœur.

" Notre existence est donc mise en doute par le Dernier-Né, celui qui a peut-être hérité du don de l’éveil et de la connaissance ultime, un privilège inouï qui dépasse les capacités de don de la Mère des Vivants, et qui ne peut avoir été octroyé que par Celui Qui N’a Pas De Nom, par Celui Qui Est… "

Après un silence elle reprit brusquement :

" Et si le prince Gautama avait vraiment réussi à dissiper les brumes de l’illusion et qu’il ait réellement conclu que les dieux ne sont que des métaphores issues de la pensée humaine ? Alors, si nous ne sommes plus rien, pourquoi ne pas disparaître purement et simplement ? Et rejoindre le Grand Vide, le Grand Sommeil, la Grande Clarté, sans regrets et sans conflits. Cependant une métaphore témoigne souvent des plus hautes réalités… Où alors tout cela ne serait qu’un jeu dérisoire, un rêve, un mirage et devrions-nous tous nous incliner devant le jugement définitif du Maître du Rire, Tecsavri qui prononça : " That’s Folk !". Que faut-il croire ? "

Winstuba s’impatienta :

" Ô ma sœur tant aimée, je te demande un conseil simple et clair et non pas un fatras de mots incompréhensibles. Sors de tes rêveries stériles ! Que dois-je faire ? 

- Ne t’impatiente pas Winstuba, et accepte ce qu’il advient et adviendra tout en affirmant ce que tu es. L’Homme a un destin particulier qui nous dépasse. Nous n’avons plus aucun pouvoir sur les évènements car le Dernier-Né est désormais le maître des destinées. Il semble avoir endossé le pouvoir destructeur de Kalina notre petite sœur bien-aimée, tout en assumant ton pouvoir de création - n’est-il pas à l’aube de percer tes secrets et de créer de nouvelles formes de vie ? – et enfin, malgré ou à cause même de ses turpitudes, il est hanté comme moi par la recherche de la vérité ultime et de la paix.

Cependant, à l’instar de Gautama, s’il veut maîtriser son destin, il doit s’éveiller. Il doit s’éveiller avant que Kalina ne se réveille.

Kalina, Kalina notre petite sœur bien-aimée ! Souviens-toi comment, déjà toute gamine, la petite chérie aimait tant briser nos poupées de porcelaine, tirer la queue du chat et piétiner les fleurs du jardin. Dans l’ivresse de l’Amok, quelle joie elle ressentirait, aujourd’hui qu’elle dispose de ses pleins pouvoirs, à saccager ta grande, splendide et fragile création ! "

Winstuba en frémit d’angoisse.

Vers le soir, Winstuba prit congé.

" Je dois m’en retourner, ô Una, ma sœur bien-aimée, et je te remercie de tes mots de sagesse, même s’ils m’apparaissent sombres et désespérants.

Adieu Una !

- Adieu Winstuba, quoiqu’il arrive nous nous retrouverons à la fin des cycles, toi, Kalina et moi-même. Envoie la Messagère des Songes aux hommes, peut-être certains d’entre eux comprendront-ils ".

Winstuba écouta le conseil de Una et envoya la Messagère des Songes aux hommes. Certains d’entre eux, au cœur doux et sensible se mirent à prophétiser, mais ils furent fermement invités à rejoindre de blanches bâtisses, revêtus de chemises blanches et inconfortables dont les manches se rejoignaient, liées dans le dos, derrière la nuque.

Et un jour, l’inconcevable eut lieu : les hommes, perdant toute mesure, osèrent ordonner à Winstuba de se présenter sans délai face à leur petit écran de conscience.

Au grand étonnement même des hommes minuscules, la Mère Universelle se présenta devant eux. Mais elle ne prononça qu’une phrase avant de disparaître :

" Homme, c’est à toi de décider entre la vie et la mort, entre l’espoir et le néant ! Le destin des vivants ainsi que le mien est entre tes mains. Que la sagesse de Una éclaire tes choix !".

 

Moi, Amonas, Grand Oiseau Scribe, dernier représentant de la grande lignée des ibis sacrés de la Vallée du Nil, j’ai retranscrit fidèlement ce qui a été dit, en bien et en mal, durant les Grandes Assemblées. Que ce témoignage éclaire les générations futures, si générations futures il y aura. Car je crains que la Noire Kalina, Destructrice des Mondes, ne se réveille enfin.

Demain à l’aurore, je remettrai mes feuilles de papyrus dans les mains claires de ma bien-aimée Winstuba et je lui dirai :

" Ô Winstuba, je suis las de la vie. Désormais, je n’ai plus ma place dans cet Univers où règnent les violents et les illettrés, qui affichent leur mépris des choses belles et sacrées. Accueille-moi dans ton Grand Sommeil, ô Mère de Miséricorde ! ".

Fin de la retranscription.


 

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